MONTRÉAL — Un groupe de citoyens de Val-David, dans les Laurentides, a finalement eu gain de cause devant les tribunaux après 40 ans d’un voisinage devenu insupportable avec une sablière.
Le juge Paul Mayer, de la Cour supérieure, a en effet accordé des dommages aux résidants de la Montée Gagnon dans un jugement étoffé de 64 pages, sur une cause qu’il qualifie lui-même de «chicane de voisins incapables de coexister» impliquant, outre les résidants affectés, le propriétaire de la sablière, Paul Bouchard, ainsi que les entreprises LJM et Excavations Miller et leur propriétaire, Jean Miller, qui exploitait la sablière en versant des redevances à M. Bouchard.
Jean Miller et ses entreprises, ainsi que Paul Bouchard, ont été condamnés à payer à chacun des résidants d’une cinquantaine de demeures des sommes variant de 7500 $ à près de 40 000 $, selon diverses situations, et ce, avec intérêts pour les dommages subis et M. Miller et LJM à verser 750 $ à chacun d’entre eux en dommages punitifs.
Les citoyens avaient entrepris une action collective pour les inconvénients subis entre 2006 et 2013, année où la sablière a cessé ses activités, mais la saga dure depuis le milieu des années 1970 et l’exploitation avait fait l’objet de plaintes, de manifestations et de recours juridiques de la part de la municipalité depuis le tout début. Le juge Mayer fait d’ailleurs référence à «l’incapacité d’une municipalité à faire face à un problème de voisinage de façon satisfaisante pour ses citoyens».
Entente, mises en demeure, injonction: rien n’y fait
De 1975 à 2004, différents opérateurs avaient exploité la carrière, à un rythme avoisinant les 40 camions par jour, mais en 2002, l’exploitant de l’époque avait conclu un protocole d’entente avec la Ville limitant le transport à quatre camions à l’heure jusqu’à un maximum de 200 camions par semaine durant les heures ouvrables, avec une possibilité de deux camions le samedi. Ce protocole avait été respecté par l’exploitant de l’époque.
En 2004, l’arrivée d’un nouvel opérateur, Jean Miller, a toutefois mené à une intensification des activités. Ce dernier avait fait fi du protocole et ses camions, beaucoup plus gros, circulaient au rythme de 80 par jour.
Les citoyens avaient à nouveau manifesté en juin 2007 et, à la fin de l’été 2008, la Ville avait mis en demeure le propriétaire, Paul Bouchard, et l’entreprise de M. Miller, LJM, de respecter le protocole avant de s’adresser aux tribunaux pour obtenir une injonction, invoquant plus de 580 infractions au protocole en 19 jours de surveillance, injonction qui lui avait été accordée en octobre.
En 2009, exaspérés devant l’incapacité de discipliner l’exploitant, les citoyens avaient amorcé la démarche de l’action collective. Le recours fut autorisé en septembre 2013 et la sablière a cessé ses activités trois mois plus tard, soit en décembre 2013.
Depuis ce temps, le procès intenté par la Ville contre LJM et Jean Miller s’est conclu par une entente à l’amiable en mars 2015, ces derniers versant une somme de 104 000 $ à Val-David.
«Mauvaise conduite intentionnelle et malveillante»
La décision du juge Mayer est lapidaire à l’endroit de Jean Miller et son entreprise, estimant que «LJM a exercé ses droits d’exploiter la Sablière de façon malveillante, de mauvaise foi ou de façon grossièrement imprudente en nuisant considérablement à certains résidents de la Montée Gagnon». Il croit de plus que le témoignage de M. Miller «est soit faux ou soit une manifestation de son aveuglement volontaire. Cela démontre également un manque d’empathie et une indifférence complète à la paix et à la quiétude des voisins de la Sablière.»
Selon le magistrat, «la mauvaise conduite de LJM était intentionnelle et malveillante, opprimante et abusive. Entre autres, le non-respect de l’injonction choque le sens de dignité de la Cour» et il «est donc légitime d’octroyer des dommages punitifs».
Quant au propriétaire Paul Bouchard, le juge conclut qu’il «a certainement été inconscient et déraisonnable» et qu’il a «fait preuve d’abus dans l’utilisation de ses droits de propriétaire», mais il ajoute que «son comportement n’a pas le même degré de conduite fautive, malveillante ou extrêmement répréhensible», de sorte que les dommages punitifs ne sont pas indiqués dans son cas.
Le juge Mayer fait valoir qu’il s’agit d’un cas «où le propriétaire et des exploitants d’une sablière ont été indifférents à la paix, l’intimité et la tranquillité de leurs voisins résidant à proximité et qui ont été endommagés au-delà des limites tolérables». Invoquant le mythe biblique de David contre Goliath, le magistrat rappelle la raison d’être de l’action collective: «Devant l’impuissance de la municipalité de régler la situation de façon concluante pour les victimes des activités nuisibles, le recours intenté par une collectivité de voisins, à bout de souffle, a connu un franc succès. Le rapport de force entre les parties a ainsi été rétabli.»
Un signal au fisc?
Fait à noter, le juge Mayer souligne dans sa décision l’étonnant arrangement entre le propriétaire Paul Bouchard et l’exploitant Jean Miller et envoie un message à peine subtil aux enquêteurs du fisc.
On y apprend ainsi, à titre d’exemple, que les redevances versées à M. Bouchard pour la période de six mois de juin à novembre 2008 inclusivement atteignent 137 225 $.
Parallèlement, il a aussi été mis en preuve que la firme de Jean Miller, LJM, payait aussi à Paul Bouchard un véhicule Jeep loué, lui avait acheté un VTT, une remorque et une génératrice, que M. Bouchard avait une carte de crédit au nom de LJM, qu’il a utilisée à hauteur de plus de 65 000 $ au fil des années, ainsi qu’une carte d’essence au nom de LJM.
De plus, M. Bouchard «avait tout le loisir de demander à des tiers (…) de construire sa résidence (376 833,25 $), de faire des travaux (déneigement, pavage de l’entrée privée, etc.) sur son terrain et à sa maison, que LJM paie pour lui» et que «LJM défraie également les honoraires de l’avocat de M. Bouchard, totalisant plus de 95 000 $».
LJM a soutenu en Cour avoir payé «un total de 827 073,41 $ afin d’acquitter les dépenses personnelles» de Paul Bouchard. Ainsi, en une seule année, soit en 2010, LJM allègue avoir déboursé plus de 144 500 $ pour défrayer le coût d’un camion (16 059,96 $), d’une carte de crédit (4885,72 $), de frais d’avocat (22 153,79 $) et 101 515,20 $ à d’autres fins, telles que l’essence, des travaux de construction et ainsi de suite.
Or, signale le juge Mayer avec une pointe d’ironie: «Ces montants étaient ensuite déduits des redevances payables. Quelle efficacité fiscale et quelle façon pratique de fonctionner!».