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« J’appartiens à la carrière. Je n’ai plus le droit de profiter de ma maison. »
Comme les autres résidants du chemin de la Butte-aux-Renards, à Varennes, Éric Ruel n’en peut plus des bruits causés par les camions qui font la navette entre la carrière Demix et le chantier de l’échangeur Turcot, à Montréal, pour y transporter des pierres. Ces résidants demandent une intervention immédiate du tribunal pour faire cesser le passage quotidien de centaines de camions devant leurs résidences.
L’augmentation « exponentielle » du passage des camions aurait été remarquée au printemps 2016.
Les 25 résidants ont déposé cette semaine une demande d’injonction contre la Ville de Varennes ainsi que trois entreprises impliquées dans le chantier, Bau-Val inc., CRH Canada et KPH Turcot. Ils allèguent que les bruits causés par les camions qui circulent de jour comme de nuit sur le chemin de la Butte-aux-Renards constituent « des inconvénients anormaux qui dépassent les limites de la tolérance ».
Dans le document déposé à la Cour supérieure du Québec, ils reprennent une étude de la Ville de Varennes faisant état du passage de nuit de 1049 camions à benne et de 917 poids lourds entre le vendredi 26 août 2016 et le vendredi 2 septembre 2016, soit une moyenne de 149 camions à benne et de 131 poids lourds par nuit.
Rencontré devant sa maison hier, Éric Ruel s’apprêtait à partir pour la campagne avec sa famille. Sa conjointe Geneviève Morin et lui ont décidé de quitter leur demeure chaque week-end pour se réfugier chez des cousins parce que leur fille Léa n’arrivait plus à dormir. M. Ruel et Mme Morin ont acheté cette maison il y a quelques années dans le but de préparer leur retraite et l’ont équipée de tout, de façon à en faire un havre de paix. « J’ai le setup pour être bien ici, mais on n’est pas bien. Ce qu’on fait, c’est qu’on va partir », affirme M. Ruel.
En arrêt de travail depuis près d’une année, il n’arrive plus à dormir à cause du bruit causé par les camions qui passent devant chez lui de 6 h le matin à minuit durant la semaine et de 7 h à 17 h les fins de semaine.
« Je suis obligé de prendre des médicaments pour dormir la nuit. »
Face à cette situation qui a changé son quotidien du jour au lendemain, Éric Ruel affirme être pris dans un dilemme. « Je ne peux pas profiter de ma maison et je ne peux pas vendre. Qui va acheter dans cette situation ? Ma maison n’a plus la même valeur », indique-t-il en nous montrant des fissures sur le mur, attribuables, selon lui, aux vibrations causées par le passage des camions.
Debout devant la résidence le temps de prendre une photo, La Presse a constaté le passage de 11 camions en moins de cinq minutes.
Joint par La Presse à ce sujet, le maire de Varennes, Martin Damphousse, a répondu : « On ne veut pas déplacer un problème vécu par 25 résidants pour le donner à un autre nombre de résidants. »
Selon le document soumis à la cour, la Ville de Varennes s’était adressée à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), en 2001, pour demander l’autorisation d’aménager une route de contournement pour réduire la densité de la circulation des véhicules lourds générée par les carrières de Demix et de Bau-Val en se basant sur le fait que « le trafic élevé augmente le risque d’accidents routiers et que la voie de contournement proposée sera[it] bénéfique à la fois aux carrières et aux résidants concernés ». Toutefois, la CPTAQ avait refusé la demande d’aménagement de cette voie de contournement.
Une autre résidante, Josée Désaulniers, affirme que l’augmentation de la fréquence des passages de camions a complètement changé le quotidien de sa famille. « Quand j’étais petite, ma famille et moi faisions des petites promenades à vélo devant notre maison. Aujourd’hui, mon fils de 15 ans est obligé de se rendre chez ses cousins, à Boucherville, pour faire du vélo ».
Mme Désaulniers habite sa maison depuis 13 ans. Elle l’a achetée de son père qui y a vécu pendant 30 ans. Son chaton y a grandi. Mais, il y a quelques mois, il s’est fait écraser par un des camions qui passent devant sa maison.
Mme Désaulniers songe au bonheur perdu qu’elle ne retrouvera peut-être plus. Le temps où ses amis pouvaient venir profiter de son coin de paradis est désormais révolu. « Dernièrement, des amis sont venus chez moi en pensant que ce serait super tranquille. Ils étaient clairement déçus. »
Pour Réjean Cormier, rencontré en train de labourer son champ, le chemin de la Butte-aux-Renards est une histoire de famille. Son grand-père a bâti en 1957 la maison qu’il habite et sa famille cultive les terrains annexes depuis des dizaines d’années. M. Cormier ne veut plus y croire. « C’est devenu invivable. Je dors avec des bouchons dans les oreilles. »
De son côté, le maire de Varennes affirme que l’augmentation du volume de passages de camions est attribuable aux travaux de l’échangeur Turcot, qui nécessitent une grande quantité de pierres extraites de la carrière Demix. « On a réduit la vitesse sur cette route de 70 à 50 km/h et on a installé des panneaux indicateurs de vitesse », insiste-t-il à l’évocation de la question de la sécurité des résidants.
Les avocats de CRH Canada, Bau-Val inc. et KPH Turcot n’ont pas donné suite aux appels de La Presse.